Jeunes agriculteurs, qui êtes-vous ?
Difficile de répondre à cette question selon Cécile Gazo, ingénieure agronome et docteure en sociologie de l’AgroToulouse, spécialiste de l’installation agricole et auteure de la thèse « Qui pour gouverner l’installation en agriculture ? » parue en 2023.
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« Il n’y a plus de profil type de jeunes agriculteurs, en raison notamment de l’augmentation des reconversions professionnelles vers l’agriculture », estime-t-elle. On distingue ceux qui s’installent dans le cadre familial de ceux qui reprennent l’exploitation d’un tiers, ceux qui sont issus du milieu agricole et ceux qui ne le sont pas… Un classement en « grandes catégories », pas très précis et qui ne reflète pas ou plus la réalité actuelle.
Il n’existe pas d’observatoire national, ajoute la jeune femme. « Les enfants d’agriculteurs sont des Ima (issus du milieu agricole), mais les petits enfants, et ceux qui ont des oncles ou tantes exploitants ?, interroge-t-elle. Ou des parents salariés agricoles, propriétaires terriens ? » « On peut être agriculteur en ayant sa propre exploitation ou en travaillant sur une ferme qui n’est pas la sienne », juge pour sa part Laurent Chupin, directeur général d’Alco (Association de laiteries coopératives de Nouvelle-Aquitaine, Pays de la Loire et Centre-Val de Loire).
Qui est du milieu agricole ? Qui ne l’est pas ?
Les jeunes installés en agriculture ne peuvent plus être seulement caractérisés par leur profil, de plus en plus divers, « le triptyque : profil, projet d’installation, structure d’exploitation mise en place » semble plus approprié, met en avant Cécile Gazo. « Les formes d’organisation du travail, elles aussi multiples, sont également à prendre en compte », suggère Audrey Bourolleau, cofondatrice de la ferme pilote Hectar et ancienne conseillère agriculture, pêche et territoires à la présidence de la République. Depuis quatre ans, elle accompagne l’entrepreneuriat agricole, des trentenaires principalement, à 70 % Nima et titulaires d’un bac + 3 voire d’un bac + 5.
Or les politiques publiques sur l’installation agricole, nées dans les années 60, ont été construites sur un profil type : celui de la reprise de la ferme familiale par un enfant d’agriculteur ayant effectué sa scolarité dans l’enseignement agricole. Pas étonnant qu’elles ne soient « plus adaptées » aux nouveaux publics et à leurs « besoins particuliers ».
« Il faut aller les chercher et leur parler différemment », propose le directeur d’Alco. « La profession est certes exigeante mais avec des contreparties intéressantes qu’on a trop tendance à passer sous silence. C’est sur elles qu’il faut bâtir le discours. » L’enjeu est plus large que celui du renouvellement des producteurs, il s’étend à l’ensemble des actifs agricoles. Surtout que le marché de l’emploi s’est inversé : ils peuvent davantage choisir où postuler.
« Ailleurs, les salariés peuvent bénéficier d’un 13e mois, d’un CSE, de chèques-vacances, etc. Le monde agricole doit travailler sur ces sujets. » « Les exploitations doivent avoir les mêmes codes et standards d’emploi que les autres entreprises. Je connais peu d’autres lieux de travail sans salle de pause ou toilettes, nous devons y remédier », exhorte la cofondatrice d’Hectar.
L’impact des reconversions professionnelles
La hausse des reconversions professionnelles vers le secteur agricole est un phénomène à ne pas sous-estimer. Il concerne aussi bien les Nima que les Ima, et les « rapproche » même sur un certain nombre de points. Outre ce qu’apportent leurs expériences antérieures au monde agricole, en termes de nouvelles compétences, d’approches différentes, etc., les reconvertis ne vont pas « se projeter de la même manière dans le métier d’agriculteur », en particulier au niveau des « modes et rythmes de vie ». « Quoi de plus normal que d’avoir une vie sociale et des vacances comme tout le monde ? », lance Laurent Chupin. « L’agriculteur est un chef d’entreprise : il choisit la taille de son outil de production, combien il veut investir et gagner, comment il veut vivre », insiste Audrey Bourolleau.
Les nouvelles générations recherchent, de plus, davantage de « liberté, souplesse, créativité », poursuit Cécile Gazo. Et veulent être « créateurs d’entreprise plus que repreneurs : l’installation n’implique plus forcément une transmission », constate la sociologue. Tous n’envisagent plus d’exercer cette profession jusqu’à la retraite. « Ils aimeraient se renseigner sur les voies possibles pour en sortir ou faire une pause un temps mais n’osent pas car cela serait sans doute mal interprété. Ce n’est pourtant pas si différent des responsables professionnels qui mettent leur activité agricole en stand-by pendant leur mandat », fait remarquer Audrey Bourolleau.
L’agriculteur est un chef d’entreprise : il choisit combien il veut investir
et gagner, comment il veut vivre.
« Le turn-over est de plus en plus important dans les entreprises, pourquoi pas dans l’agriculture ? », réplique Laurent Chupin. La difficulté : les capitaux énormes engagés, une « charge qui doit être étalée sur un maximum de temps », les risques financiers en découlant, sans compter les nombreux aléas qui peuvent survenir, et le retour sur investissement long. Audrey Bourolleau évoque « un mur de financement qui se dresse devant les porteurs de projet surtout lorsqu’ils n’héritent pas de terres ».
Une ferme sur deux pourrait ne pas être transmise
À noter : les candidats à l’installation en agriculture n’excluent pas de changer de région. Près de 40 % des inscrits sur Éloi seraient prêts à le faire, y compris ceux qui sont issus du milieu agricole parce qu’ils souhaitent s’émanciper de la ferme familiale, confirme Maxime Pawlak, l’un des fondateurs de cette plateforme web. « D’où l’importance de faire rayonner les territoires et les services disponibles, en communiquant entre autres sur Facebook, Youtube, etc., compte tenu du manque de visibilité des exploitations à céder. »
Autrement dit : « L’offre et la demande peinent à se rencontrer. » « Près d’une ferme sur deux pourrait ne pas être transmise, alerte-t-il. Pourtant, des postulants, il y en a, mais ils n’arrivent pas à trouver de structure correspondant à leur projet et à accéder au foncier. » L’objectif d’Eloi, créé en 2021, est de faciliter cette mise en relation entre cédants et repreneurs, via les médias que ces derniers utilisent, les réseaux sociaux.
Plus de 5 000 s’inscrivent sur la plateforme chaque année : 60 % sont des Nima et 35 % des femmes. Les exploitations à transmettre font l’objet d’un diagnostic afin de déterminer un prix de cession basé sur la valeur économique et qui permet « de s’installer dans de bonnes conditions, d’obtenir des prêts auprès des banques, de les rembourser et de vivre de son métier ».
De plus en plus d’acteurs sur l’installation
La diversité des profils des futurs agriculteurs va de pair avec la multiplication des intervenants et des initiatives qui soutiennent l’installation agricole. « Historiquement, deux structures syndicales antagonistes accompagnaient les porteurs de projet : Jeunes Agriculteurs et les chambres d’agriculture pilotées en majorité par le duo FNSEA/JA, et l’agriculture paysanne orientée Conf », rappelle Cécile Gazo.
D’autres instances, publiques et privées, qui ne dépendent ni de ces dernières ni de l’État, s’y sont ajoutées plus ou moins récemment : le réseau des espaces tests agricoles, les coopératives confrontées au renouvellement générationnel de leurs adhérents, les réseaux Initiative France et France Active qui déclinent au monde agricole les dispositifs réservés aux entrepreneurs d’autres secteurs, les start-up ou entreprises à mission comme Éloi, avec des modèles économiques inédits et des outils particuliers, sans oublier Campus Hectar, qui entendent contribuer ainsi à la transition agroécologique…
« Le but est d’être complémentaires, pas de se substituer les unes aux autres », note Maxime Pawlak. Les départements, communautés de communes, communes, pays, parcs naturels, etc. mettent aussi en place des soutiens spécifiques. « Face aux besoins capitalistiques très élevés, les candidats à l’installation ont besoin de tout le monde, appuie Audrey Bourolleau. Rares sont ceux qui peuvent prendre de tels risques financiers seuls. »
Et autant de questions en suspens…
Cette multiplicité soulève beaucoup de questions, pointe Cécile Gazo : « Quel est le rôle de chaque acteur ? Quelle collaboration et partenariats entre eux ? Qui finance quoi ? Quelles adaptations proposer au sein des organisations historiques ? Comment repenser l’action publique en conséquence ? ». Avec derrière cette interrogation : « Comment ne pas complexifier encore le parcours d’installation agricole ? »
Étapes, organismes, démarches… les candidats ont déjà du mal à s’y retrouver ! « C’est le défi auquel doit répondre France Service Agriculture. Une première marche a été franchie en regroupant tous les protagonistes. Reste à résoudre les problématiques ci-dessus. »
Quant à la régionalisation de la DJA (dotation jeune agriculteur), elle a l’avantage de tenir compte des spécificités territoriales mais « quelle articulation avec les échelons européen, national, régional, départemental et local (communauté de communes, communes…) », questionne encore l’ingénieure agronome. Et de conclure : « L’enjeu est à l’échelle de notre pays voire de l’UE, il nécessite au minimum une politique nationale forte, à décliner ensuite au plus près des jeunes agriculteurs. »
Source : table ronde « Je veux devenir agriculteur/agricultrice » du Sia’pro au dernier Salon de l’agriculture.
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